dimanche 29 juin 2014

Char à voile et à vapeur


A chaque gay pride, c'est la même chose : Je relis Duras. 

« 23 décembre 1980.
Yann, C’est donc fini. Je t’aime encore. Je vais tout faire pour t’oublier. J’espère y parvenir. Je t’ai aimé follement. J’ai cru que tu m’aimais. Je l’ai cru. Le seul facteur positif, j’espère, me fera me détacher tout à fait de toi c’est celui-là, ce fait que j’ai construit l’histoire d’amour toute seule. Je crois que tu m’aimes toi aussi mais pas d’amour, je crois que tu ne peux pas contenir l’amour, il sort de toi, il s’écoule de toi comme d’un contenant percé. Ceux qui n’ont pas vécu avec toi ne peuvent pas le savoir. J’ai aperçu quelque chose de ça lors de la première scène à Deauville. – Je me suis dit : mais avec qui je suis ? Et puis tu as pleuré et ça a été colmaté. Mais je n’ai pas oublié cet effroi. Je voudrais que tu saches ceci ; ce n’est pas parce que tu dragues et que tu en passes par le cérémonial pitoyable des pédés que je te quitte.
Tout serait possible, tout si tu étais capable d’aimer. Je dis bien : capable d’aimer comme on dirait capable de marcher. Le fait que tu ne parles jamais, ce qui m’a tellement frappée, vient de ça aussi, de ce manque à dire, d’avoir à dire. Peut-être est-ce un retard seulement, je l’espère. Tu n’es même pas méchant. Je suis beaucoup plus méchante que toi. Mais j’ai en moi, dans le même temps, l’amour, cette disposition particulière irremplaçable de l’amour. Tu ne l’as pas. Tu es déserté de ça. Je vais essayer de te trouver un travail à Paris ou ailleurs, un travail qui te convient. Je veux bien te louer une chambre à Caen où tu as tes vrais amis, […] ceux qui te connaissent depuis toujours, qui ne peuvent plus vivre ce leurre de l’été 80 à Trouville vécu par moi. Je ne te laisserai pas tomber. Je t’aiderai. Mais je veux me tenir à l’abri de cette aridité qui sort de toi et qui est carcérale, intolérable, épouvantable. Je ne sais pas de quoi elle procède, je ne peux pas la décrire, sauf en ceci : qu’elle est un creux, en manque, en vide à côté de quoi ma méchanceté par exemple, est une prairie, un printemps. Vivre avec toi, à coté de toi, non, c’est impossible.
Tu m’as écrit pendant des années justement parce que j’échappais à cette indécence d’exister. Je t’aime Yann. C’est terrible. Mais je préfère encore être à t’aimer qu’à ne pas t’aimer. Je voudrais que tu saches ce que c’est. Quel été, quelle illusion, que c’était merveilleux, ça ne pouvait pas continuer, ce n’était pas possible, seules les erreurs peuvent prendre cette plénitude. Je ne sais pas quoi faire de la vie qui me reste à vivre, très peu d’années. Le crime c’était ça : de me faire croire qu’on pouvait encore m’aimer. En retour de ce crime il n’y a rien. S’il arrive que j’aie le courage de me tuer je te le ferai savoir. Le seul empêchement est encore mon enfant. Je t’aime
Marguerite.»

samedi 28 juin 2014

L'esprit qui croyait prendre

Il est un jeu divertissant sur tous,
Jeu dont l'ardeur souvent se renouvelle:
Ce qui m'en plaît, c'est que tant de cervelle
N'y fait besoin, et ne sert de deux clous.
Or devinez comment ce jeu s'appelle.

Vous y jouez; comme aussi faisons-nous:
Il divertit et la laide et la belle:
Soit jour, soit nuit, à toute heure il est doux;
Car on y voit assez clair sans chandelle.
Or devinez comment ce jeu s’appelle.

Le beau du jeu n’est connu de l'époux;
C'est chez l'amant que ce plaisir excelle:
De regardants pour y juger des coups,
Il n’en faut point, jamais on n’y querelle.
Or devinez comment ce jeu s’appelle.

Qu'importe-t-il ? sans s'arrêter au nom,
Ni badiner là-dessus davantage,
Je vais encor vous en dire un usage,
Il fait venir l'esprit et la raison.
Nous le voyons en mainte bestiole. 


(...) Jean de la Fontaine
  

mardi 24 juin 2014

Fumer nue



Nom d'une pipe (8)

« Je suis la pipe d'un auteur ;

On voit, à contempler ma mine
D'Abyssinienne ou de Cafrine,
Que mon maître est un grand fumeur.

Quand il est comblé de douleur,
Je fume comme la chaumine
Où se prépare la cuisine
Pour le retour du laboureur.

J'enlace et je berce son âme
Dans le réseau mobile et bleu
Qui monte de ma bouche en feu,

Et je roule un puissant dictame
Qui charme son coeur et guérit
De ses fatigues son esprit. »


On s'est interrogé au dîner à propos de Charles. 

Son éditeur n'aurait-il pas tout simplement fait une coquille pour les fleurs du mâle ?


dimanche 22 juin 2014

samedi 21 juin 2014

Disco chiottes

On devrait pouvoir interdire la fête de la musique.
Les vrais amateurs font comme moi : Ils mettent la sono partout, y compris dans leurs toilettes toute l'année.

Prions, juste ce soir, pour qu'un ingénieux ingénieur invente un distributeur de PQ mp3.

jeudi 19 juin 2014

Diana d'yeux que pour vous

Depuis le départ de VGE, je ne pensais plus connaître la triste abdication d'un monarque.
Pourtant, te voilà parti, toi aussi JC One.
Alors, ce soir, pour me consoler, je ressors vos plus beaux sourires. 
Ceux du bon vieux temps, où vous chassiez d'abord tous les deux ensemble, jusqu'à braconner seuls sur les mêmes terres. 




lundi 16 juin 2014

Je relève vos copies dans 4 heures


Sujet n° 3 

Commentaire de texte :

« La philosophie est affaire d'enfance, tout comme la fascination pour les animaux - non pas qu'elles soient puériles, mais au contraire parce qu'elles ont le sérieux de tout ce qui est à l'état naissant, de tout ce qui inaugure un monde. »
Alain Cugno, La libellule et le philosophe.



mercredi 4 juin 2014

862 jours à l'Hôtel des Amériques

Tu aimais Catherine. 
Tu aimais ce film.
Tu aimais ce dialogue.

« Je savais que je finirai par te retrouver. Je te suivais à la trace comme un chien. Je ne te lâcherai plus. Je te poursuivrai toujours où que tu ailles. Ecoute. Voilà. On va tout recommencer. Tout recommencer. On peut même faire comme si on se connaissait pas. Comme si on ne s'était jamais vu. Comme si c'était la première fois.
Tu ne vas pas me dire que c'est un orage qui va nous séparer? On est plus fort que ça, non ? On est plus fort que ça, hein ? Mais dis moi que oui. Vas-y... Dis moi que oui. Dis moi oui ».

Tu m'aimais aussi, je crois.

C'est pour cela, sans doute, qu'après 2 ans, 4 mois et 11 jours, je n'arrive toujours pas à leur dire oui.


lundi 2 juin 2014

J'ai rêvé que je n'étais pas Jane Fonda

Brautigan était assis. Il me regardait derrière le petit secrétaire de l'hôtel miteux où nous avions échoués.
- Non, je ne te ferai pas lire. N'insiste pas.
Alors qu'il était sorti un instant pour disparaître dans un buisson de mûres. J'en profitais pour m'emparer de ses feuillets.




*« J'ai essayé de te décrire à quelqu'un, il y a quelques jours. Tu ne ressembles à aucune autre fille.
Je ne pouvais pas dire : - Eh bien, elle ressemble à Jane Fonda, sauf qu'elle a les cheveux roux, qu'elle n'a pas la même bouche, et que bien sûr ce n'est pas une vedette de cinéma.
Je ne pouvais pas dire cela parce que tu ne ressembles pas du tout à Jane Fonda.
J'ai fini par te décrire en te comparant à un film que j'ai vu quand j'étais enfant à Tacoma, dans le Washington. Je crois que c'était en 1941 ou 1942, quelque chose comme ça. Je devais avoir sept ou huit ans, ou peut-être six. C'était un film sur l'électrification à la campagne, le type même du film moral des années trente, au temps du New Deal, parfait pour les enfants.
Le film montrait la vie des fermiers à la campagne sans électricité. Il leur fallait des lanternes pour s'éclairer la nuit, pour coudre et lire, et ils n'avaient aucun de ces appareils ménagers que sont les grille-pain ou les machines à laver, et ne pouvaient pas écouter la radio.
Puis ils construisirent un barrage, avec de grandes génératrices d'électricité; ils plantèrent des poteaux dans toute la campagne et tendirent des fils à travers champs et près.
Il y avait quelque chose d'incroyablement héroïque qui émanait du simple fait de planter des poteaux pour soutenir les fils. Ils avaient l'air anciens et modernes en même temps.
Puis le film montra l'Electricité, comme un jeune dieu grec venu vers le fermier pour l'arracher aux ténèbres de sa vie.
Soudain, le fermier avec ferveur tournait un bouton et il avait de la lumière électrique pour traire ses vaches, à l'aube, dans les petits matins sombres de l'hiver.
Les familles des fermiers purent alors écouter la radio et avoir des grille-pain et des tas de lumières vives près desquelles on pouvait coudre des robes et lire le journal.
C'était vraiment un film extraordinaire, qui m'emplissait d'enthousiasme comme quand j'écoutais la Bannière étoilée ou que je voyais des photos du président Roosevelt ou que je l'entendais à la radio "...Le Président des Etats-Unis..."
Je voulais que l'électricité aille partout dans le monde. Je voulais que tous les fermiers du monde puissent écouter le président Roosevelt à la radio. 
C'est à cela que tu ressembles, pour moi. »*


*Extrait de "La Vengeance de la pelouse" - Brautigan (Nouvelles, 1962-1970)*